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Brèves de sage-femme
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Brèves de sage-femme
3 avril 2009

trop tôt

                                      Quand la vie va trop vite, que le temps nous échappe...

        Elle arrive pour des contractions. Elle avait appelé, un peu avant, et ma consoeur lui avait dit de venir. C'est un quatrième bébé, un quatrième garçon : "on ne se faisait pas trop d'illusion", me dira cette maman. Tout s'est toujours bien passé, de la grossesse à la naissance, chacun des enfants est né à son moment, au bon moment. Là déjà c'est différent. Bébé ne doit pointer le bout de son nez que dans 7 semaines. Mais cette maman, d'un calme et d'une maîtrise inouïe, doute. Le toucher vaginal me confirmera ses craintes. Le travail a commencé, et déjà bien avancé. le docteur prévenu, on tente d'arrêter le processus. Une perfusion censée stopper les contractions est installée. Il faut attendre. Voir si ça va marcher. Les questions fusent : pourquoi, comment, et si...??? Non il n'y a pas de culpabilité à avoir. Non, un examen plus tôt n'aurait pas changé les choses. Oui, ce bébé sera trop petit pour rester ici. Oui ce sera un bébé prématuré, avec les difficultées liées à sa sortie précoce du ventre maternel. L'évidence est là. On croise les doigts... Pourvu qu'on puisse tenir quelques jours. Allez, seulement 1 semaine, ou 2 et déjà bébé restera là.

             Les contractions sont toujours là. La maman est concentrée, zen. Elle voit bien que rien n'a changé. Le temps est supendu, on oscille entre espoir et inquiétude.

D'un seul coup tout s'accélère. la poche des eaux se rompt. Le liquide est étrangement sanglant. De mon expérience, je n'ai jamais vu un liquide de cette couleur. Mon pouls s'acélère, je suis seule, mes collègues sont parties manger. Pas le temps de sonner. Il faut appeler le docteur, changer de salle, examiner... Pendant ce temps, le coeur de bébé ralentit. Les filles accourent, on se dépêche, vite vite, il faut y aller, il faut sortir ce bébé. Ce n'est pas un premier, le col est entièrement dilaté, on s'installe pour la poussée, le gynéco et le pédiatre ne sont même pas encore arrivés. Tant pis, il faut faire sans eux. Je croise le regard perdu de cette maman et de ce papa. Ils auraient tant aimé que ce bébé reste encore un peu. Pas le temps de rassurer. L'urgence est là, il faut pousser. La petite tête progresse bien, la maman met tout son courage, fait fi de sa peur et pousse admirablement bien. La tête est sur le point de sortir, je me fais la reflexion qu'il n'est pas si petit, ce bébé. Le docteur est arrivé, mais n'intervient pas, mes décisions sont les bonnes. Je pose enfin ce petit sur le ventre de sa maman. Il est couvert de ce liquide sanglant. Je vois le papa se reculer, épouvanté, les larmes aux yeux. Tout en coupant le cordon, j'essaie de rassurer. Bébé pouse un petit cri, bouge ses membres. Me voilà un peu rassurée. Mais vite déjà il faut l'emmener.Pas le temps de le regarder, pas le temps de faire connaissance, ma collègue l'attend et le pédiatre arrive. Je retourne vers la maman, inquiètée par ses saignements.Il ne manquerait plus qu'une hémorragie, vraiment. Mais non. Le flot s'est calmé depuis la sortie du bébé. Je peux prendre le temps d'attendre le placenta. A vrai dire on l'attend de pied ferme celui-là, en espérant une réponse à ce liquide plein de sang. Il arrive enfin, dans les temps, normal, sans aucune anomalie. Je peux enfin aller voir le bébé, pris en charge par le pédiatre. Petit bout d'homme a bien démarré, mais juste après a un peu oublié de respirer.Malgré tout, il réagit bien, et n'a pas besoin d'un tube dans sa gorge. Sa respiration est hésitante, chaotique, on le stimule, le pique, pas une minute de répit pour ce tout-petit. Ce n'est pas un grand prématuré, mais il a besoin d'être aidé, alors on lui donne un peu d'oxygène. Il récupère vite ce qui est très bon signe, mais il ne peut rester là. C'est la loi. Avant 34 semaines d'aménorrhée, un tout petit doit être muté, dans une autre structure, mieux équipée. Et puis, il a besoin d'oxygène, c'est évident, et puis on ne sait jamais ce qui peut arriver. Le SMUR pédiatrique a été appelé et viendra le chercher. En attendant, je demande au papa d'aller chercher les plus grands enfants, pour qu'ils voient leur petit frère tout juste né. Quand pourront-ils le revoir après ? Je n'en sais rien, alors rapidement, il va les chercher.

                 Sitôt arrivés, on les laisse entrer. Ils sont ébahis devant ce tout petit. Intimidés par les blouses blanches qui virevoltent autour de lui. Le papa filme leurs premiers regards, ils sont si attendrissants. J'aimerai tant qu'ils puissent le prendre dans leurs bras, l'arracher à ses fils et que ce soit sur le ventre de la maman qu'il le voie pour la première fois. Ce n'est pas possible, je le sais bien, alors on les laisse entre hommes, tous les 4, un semblant d'intimité, un moment volé, on recule à pas feutrés dans le couloir.

                 La maman va bien, un peu secouée, un peu fatiguée. Cela ne fait encore pas deux heures qu'elle a accouché. Mais je vois bien qu'elle meure d'envie d'être auprès de ses garçons. Alors faisant fi des protocoles, je l'aide à se lever, et en fauteuil roulant je vais l'accompagner vers son bébé, et sa tribu au complet. Je les laisse savourer, créer ce lien si ténu avant le grand départ, dans une autre ville, plus loin, dans un lieu moins accessible pour eux 6. Comme par enchantement, la respiration du petit se fait plus calmement, il a même ouvert un oeil, en entendant ses grands frères chuchoter. Le pédiatre en serait presque stupéfait. Pas moi. Je sais. Je sais que ce bébé a senti ses frères, son papa et sa maman auprès de lui. Je sais que tout ce stress qu'on lui a infligé alors depuis sa naissance s'est enfin un peu estompé. Et que du coup, littéralement, il peut respirer. Mais c'est de courte durée, bien sûr. Il est encore trop faible, et il lui faut encore de l'oxygène, un petit peu.

                 Le SMUR pédiatrique arrive alors. Les plus grands s'eclipsent. Et la maman reste un temps; à moitié rassurée. Puis je la raccompagne en salle d'accouchement. Il faut qu'ils préparent tout- petit à son transfert.

                 Je sors moi aussi, et le pédiatre s'en va. Je les laisse travailler tranquillement, je sais l'infirmière très douce et expérimentée avec ces petits nés trop tôt.

                 Ils restent longtemps. Il faut du temps et de la patience pour manipuler tout-petit.

                 Puis, le docteur pédiatre spécialiste va voir la maman. Il lui explique à quoi elle doit s'attendre, la rassurer aussi, car tout petit n'est pas si petit. Puis à ma grande surprise , il l'a fait revenir dans la salle des bébés. Pour une longue et magnifique séance de peau à peau. Pas deux secondes volées, non, un long moment où les deux se retrouvent et peuvent enfin se toucher, se sentir, se contempler. Malgré tous les fils, malgré la perfusion, c'est possible. On sent bien que le médecin et la puericultrice ont le temps. Enfin, ils le prennent le temps, ce temps si important , ce temps manqué à la sortie de bébé, ce temps merveilleux, qui m'émeut, me met les larmes aux yeux.


             Je retourne à mes papiers.

             Et c'est enfin le moment du départ. Tout-petit est installé dans la couveuse de transport. Sa maman lui touche une dernière fois la main, le coeur en mille morceaux. Cette maman si zen et courageuse est complètement dévastée par le départ de son bébé. Je suis triste moi aussi, je pense savoir ce qu'elle ressent, on essaie de rendre la séparation moins dure; mais c'est inéluctable. On suit son bébé jusqu'à l'ambulance. On attend que les portes se referment et qu'ils démarrent, enfin, emportant tout-petit loin de sa maman, des siens, pour quelque temps.

          Je raccompagne la maman dans sa chambre, l'aide à s'installer dans son lit. Elle se met à pleurer, librement. C'est trop dur de voir son bébé partir ainsi, loin. C'est trop dur de ne pas pouvoir aussi l'allaiter, comme les grands frères, là tout de suite. C'est vraiment trop dur. C'est un coeur de maman brisé, et je suis de nouveau moi aussi aux bords des larmes. Je la rassure et déjà lui propose de tirer son lait. Pour stimuler, pour collecter le précieux brevage dont son bébé a encore plus besoin que les autres bébés. Elle acepte bien sûr. Elle sait que c'est la seule chose qui la rapproche tant de son bébé. Je lui promets le tire-lait plus tard, dans la soirée, pour l'instant elle doit se reposer. Reprendre des forces pour aller le retrouver, dès que ce sera possible.


              Tout petit sera bien arrivé, et aura bien récupéré. Aujourd'hui, date de l'article, j'ai su par son papa que le grand jour est arrivé. Il va pouvoir rentrer chez lui, retrouver son doux et chaud foyer, bien entouré, 3 semaines après avoir quitté le ventre de sa maman. Après reflexion, la sortie du ventre de maman était question de survie. La placenta, envoyé en analyse a livré son secret : Si le travail ne s'était pas déclenché, tout-petit ne serait certainement pas là, le placenta s'est abîmé, et aurait fini par se décoller.

La nature s'en est une fois de plus mêlé.


La nature a tout orchestré, pour sauver la vie de ce petit bébé.

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Commentaires
M
Merci pour votre réponse ! Si jamais vous avez l'occasion d'intervenir à un moment ou à un autre, à un niveau ou à un autre, militez s'il vous plaît pour ce transfert mère-bébé, c'est tellement important pour les 2. J'ai été séparée de ma fille 5 jours(mon premier bébé) alors que nous étions dans la même maternité, ça nous a beaucoup marquées. Je m'en veux encore d'avoir fait confiance à la maternité pour les raisons de cette séparation mais je remercie de tout coeur les deux puéricultrices qui m'ont aidé à réussir mon allaitement 5 jours après la naissance ;-D
S
Dans nos "petites" maternités ( enfin de plus en plus grosses), les mamans ne suivent pas immédiatement les bébés . Il faut qu'il y ait de la place pour accueillir la maman, et ce n'est pas considéré comme une urgence ( même si à mon sens ça l'est)les CHU ou les maternités de niveau 2 sont souvent surchargés. Du coup pas de place pour les mamans qui doivent sortir très précocément de la maternité si elles veulent retrouver leur bébés... Bonjour la fatigue.... les trajets....l'organisation familiale... <br /> Et ce n'est pas prêt de s'arranger :o(((
E
Même question, pourquoi pas de transfert de maman, je sais que "ça ne se fait pas", mais ça semble si illogique à lire cette histoire.<br /> <br /> Pour le tire-lait je ne comprends pas bien non plus, je ne suis pas sûre qu'elle a été plus reposée 3 ou 6h plus tard, et je crois que ça aurait pu être utile de laisser choisir elle-même.<br /> <br /> Et pour créer du lien c'est tout ce qui lui restait, à cette maman...
M
Merci pour cette histoire très émouvante et un grand bravo à l'équipe qui a laissé à la maman ce long moment de peau à peau. J'ai une question, pourquoi n'est-il pas possible de transférer la maman avec le bébé, dans la même ambulance ? Pourquoi les séparer ?
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