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Brèves de sage-femme

Brèves de sage-femme
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Brèves de sage-femme
26 mai 2011

De la colère

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    12 mai 2011

                                                                   Belle journée pour manifester.

                                                   Un petit tour de TGV, un bus et nous voilà arrivées.

                    Des sages-femmes par milliers, avec quelques usagers. Très motivées. Prêtes à crier, à scander leurs slogans, leur colère, leur désarroi de devoir être là.

 Manifester pour exister. Du moins pour essayer d'exister, essayer de lutter, de resister...

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Se battre pour le femmes , les couples.Pour que la naissance de leur bébé se passe différemment, plus d'humanité, plus de respect, du temps pour chacun.

Se battre aussi pour nous. Pour être un peu reconnues, et pas seulement celles à qui on rajoute des compétences pour pallier au manque de gynécologues-obstétriciens, sans revalorisation de salaire, rien.

Une belle journée, pleine d'espoir, de dynamisme.

Une belle journée noyée dans le flot des parisiens.... Habitués aux manif...

Un retour en Province fatiguée. Heureuse d'avoir pu y participer, mais fatiguée.

 

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         Le journal TV 20h: pas un mot, ni là, ni ailleurs. RIEN.

              Les sages-femmes sont une fois de plus invisibles.

         Le premier titre du journal ? Cette maman qui accouche seule de ce si petit bébé, impossible à réanimer. Seule? Dans la souffrance la peur... Seule parce que les 2 sages-femmes devaient faire face à 3 accouchements pratiquement instantanément. Sans choisir, elles ont paré au plus pressé. Peut-être avaient-elles aussi le ventre creux et la vessie pleine du matin. Comme des milliers de sages-femmes tous les jours. Qui doivent accompagner plusieurs couples dans la même journée, parfois sans se poser, manger ou uriner. Un couple dont on oublie le nom dès le lendemain. Impossible de se souvenir si c'était un garçon ou une fille lorsqu'on les croisera dans quelques mois.  Ce n'est pas ça notre métier. Mais c'est comme ça qu'on nous oblige à travailler. De vieux décrets fixent le personnel à employer en fonction du nombre d'accouchement. Une activité qu'on compte à l'année....Tout est biaisé.

           Nous étions dans la rue. Nous avons crié, protesté. L'actualité était là, notre action aurait pu être relayée par les médias.

           Une femme pour une sage-femme.

                                                      Des maisons de naissance.

                                                                                            Un brin de reconnaissance.

           En définitive, rien de tout cela. Des larmes dans les  yeux. La sensation d'un immense gachis, d'un monde pourri.

           Un noeud à l'estomac. La nausée.

          Le sentiment amer de s'être trompé de pays pour exercer ce si beau métier.

                               

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25 mai 2011

Le choeur des femmes

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  Ce livre devrait être obligatoire : -En première année de médecine, quand on est encore jeune, frais, beau et suffisamment ouvert ( et non pervertis par des labo pharmaceutiques en tout genre....) .

                                                            - Pour toute femme (jeune fille) à la veille de se rendre pour la première fois chez un gynécologue ( ou médecin généraliste )pour une première contraception, un problème gynécologique...

                                                             -Pour toutes les femmes en fait...Toutes celles qui se sont vu intimer l'ordre de se mettre toute nue  complètement pour l' examen,  celles qui se sont fait examiner sans ménagement alors qu'elles avaient une trouille bleue, celles qui avaient tellement de choses à dire à leur praticien, mais qui en sortant n'ont rien pu raconter... etc...

           J'ai adoré ce livre... Je l'ai dévoré, même si j'avais parfois encore l'impression d'être encore au boulot en le lisant. A la fois bourré d'histoires vraies, avec une bonne dose de fiction, ce livre m'a donné de l'espoir. L'espoir que beaucoup de gens le liront. Beaucoup de femmes, d'hommes, des médecins ou d'autres en passe de le devenir... Qu'il soit lu par le plus grand nombre pour réaliser qu'il  existe d'autres rapports soignant/soigné, une autre médecine, plus humaine... Mais que ce sont les "soignés" qui doivent la faire changer.

 

Un lien pour illustrer le type de relation... délétère... malheureusement.

http://lamerejoie.com/2011/05/19/abus-de-pouvoir-gynecologue/

 

  

20 février 2011

Sur mon chemin...

    C'était il y a 15 ans environ. J'étais élève sage-femme en 2ème année. La deuxième année, à mon époque, c'était enfin faire connaissance avec notre futur métier. C'était des stages et des heures passées en salle d'accouchement, en consultations, en suites de naissances, toucher du "gros" ventre, manipuler "du" bébé, enfin !

Salle de naissances.                                                                                                                                                                                      Hôpital Edouard Herriot à Lyon.                                                                                                                                                               Combien d'accouchements à l'année ? 3000 ? Ou peut-être un peu moins, ou peut-être un peu plus....5 salles d'accouchements, au moins, sans compter toutes les pièces où  on pouvait consulter. Un tourbillon bleu de personnel en tout genre, des sages-femmes, mais aussi des médecins, professeurs, internes, externes, étudiants, anesthésistes,  pédiatres ...                                                                                                                                 

    Et souvent la même façon de procéder : Une femme arrivait en travail, si suffisamment dilatée, passage en salle d'accouchement, pose de perfusion, pose de péridurale, pose d'une autre perfusion pour accélerer les contractions, surveillance de la dilatation, poussée sur le dos " menton sur la poitrine, on pousse fort en bas, comme pour faire caca..." Grand bonheur si j'avais l'autorisation de mettre mes mains sur celles de la sage-femme, sans échapper à une petite brimade, une petite humiliation de temps en temps.  Bref, un accouchement standardisé. Les rares femmes qui n'avaient pas de péridurale hurlaient, dérangeaient, se rebiffaient....J'étais décontenancée devant ces rares femmes qui ne voulaient pas être soulagées,malgré les encouragements de la sage-femme pour lui faire poser une péridurale.  J'étais contente, en préparant ma perfusion de syntocinon* .

Comment pouvait-on accoucher autrement ? Je n'avais eu que cette vision de la naissance.

  En sortant de l'école un jour, après un cours, je vais à la Fn*c sans but précis. Juste regarder, feuilleter... Et je tombe sur ce livre :

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        Ce livre qui a tout changé.

         Ce livre qui m'a d'abord choqué.

         Ce livre qui m'a permis de me questionner, de cheminer...

   Des témoignages de parents, tout simplement.

Rien de vraiment médical.

Mais des photos chocs.

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LA REVELATION !

Pour la petite élève qui n'avait encore vu que des accouchements sur le dos, guidé par une sage-femme qui sait mieux que la femme elle-même.

Pour la petite élève qui n'aurait jamais imaginé qu'un médecin puisse (sup)porter une femme enceinte, qu'une sage-femme puisse être assise par terre..

Pour la petite élève qui a senti, à ce moment là, qu'elle touchait quelquechose de très important...

En tant que  future professionnelle.

Mais aussi en tant que future maman.

14 février 2011

les larmes des sages-femmes

  Des femmes, j'en ai vu pleurer...

Pour des avortements volontaires, ou par peur de perdre son bébé

Pendant les accouchements, là quand la douleur est trop forte sans répit...

Pour des bébés pas encore nés, mais déjà  petits anges, ou ceux déjà nés mais partis aussi....

Des larmes, j'en ai versé,

Aux premières naissances auxquelles j'ai assisté

Lors de naissances si belles qu'elles me font pleurer,

Parfois lors de séparations maman bébé ...

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Des sages-femmes, j'en vois pleurer...

Trop souvent en ce moment , il faut bien l'avouer.

La souffrance est là, elle s'expose,

A l'intérieur, tout explose.

Il y a une fêlure, une cassure...

On ne peut plus  faire bonne figure...

La souffrance de ne plus pouvoir travailler en sécurité,

La souffrance de ne plus pouvoir accompagner,

La souffrance d'être sage-femme, à l'heure des restrictions budgétaires,

Des questions de gros sous,  très terre à terre.

Et  cette corde, sans cesse tirée,

Qui finit par se craqueler et enfin céder.

Mes larmes que je laisse couler...

Pas seulement par amitié,

Mais parce que je suis désespérée,

Ecoeurée, bouleversée...

Une époque révolue,

Un paradis perdu...

Une voie sans issue...

Des larmes de sages-femmes,

Travailler encore, la mort dans l'âme.

9 février 2011

Comme beaucoup de jeunes femmes...

C'est notre premier rendez-vous du matin. Elle entre, seule, nous salue, s'assoie. Notre disours est bien rôdé, nous nous présentons, puis lui laissons la parole.

Elle a une trentaine d'année. Elle est comme beaucoup de jeunes femmes de son âge : elle a rencontré l'homme de sa vie et s'est mariée avec lui voilà presque 10 ans déjà. Deux ans après le mariage, après avoir profité de tendres moments ensembles, ils ont envie d'un bébé.

Comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, elle arrête sa pilule, qu'elle a pris très conscienseusement pendant plus de dix ans.

Comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, elle espère "tomber enceinte" rapidement.

Les mois passent, le doute s'installe.

Comme beaucoup de jeunes femmes de son âge, au bout de quelques mois, elle s'interroge, va voir son gynécologue.

Exit la vie amoureuse insouciante ...

Il faut maintenant calculer, prendre sa température tous les matins, guetter le signe de l'ovulation.

Lui doit se soumettre aussi à une batterie d'examens.

Le doute plane...

Qui est le "fautif" ?

Quelques semaines plus tard , le diagnostic est posé.

C'est monsieur qui est incriminé: peu ou pas de spermatozoïdes, sur un échantillon, une fois, et toute sa vie bascule, sa masculinité en prend un coup.

Mais ce n'est plus exceptionnel à notre époque alors ils décident de confier leur intimité, leur fertilité, leur espoir d'enfant à la médecine. Ils sont confiants. Ils sont soudés, ils s'aiment, ils vont y arriver.

Le temps est long.

Il y a de l'attente, encore et encore.

Le couple s'essouffle.

Elle revoit un jour un vieil ami d'enfance.

Ils se voient plusieurs fois, à vrai dire.

Elle finit par lui parler à coeur ouvert de ses difficultés de couple, de leur difficulté à avoir un enfant, de ce parcours de procréation médicalement assistée qu'il vont bientôt entamer.

Des liens se nouent.

Le couple se dénoue.

Cet homme, ami de longue date ,sait trouver les mots, et du sentiment d'amitié naît une histoire d'amour.

Exit l'homme infécond , elle demande le divorce, mais ils continuent à vivre sous le même toit.

Elle nous assure que pour l'instant l'autre histoire n'est que platonique, elle ne veut pas tromper son mari tant que le divorce n'est pas prononcé.

Alors que fait-elle donc dans ce bureau devant nous?

Elle est enceinte.

De son mari.

Un dernier rapport, un soir de vacances, dans leur maison toujours partagée.

Une fois.

Une dernière fois, comme un adieu, l'ultime fois.

Non protégé , cela va de soi.

Elle est enceinte de 8SA.

Elle a passé son échographie et a vu le petit coeur scintiller.

Et malgré tout, elle est dans ce bureau.

Celui où l'on donne des papiers et des médicaments pour avorter.

Elle ne s'est pas trompée.

Elle ne veut plus de ce bébé.

Pas de son futur ex mari .

Pas maintenant.

Elle ne l'a dit à personne.

A tout bien gardé pour elle.

C'est son secret.

Elle ne dira rien à personne.

Personne.

Même pas au "géniteur", l'homme infertile aux yeux de la médecine.

Elle ne veut pas lui faire de la peine, dit lui avoir fait assez fait de mal en demandant le divorce.

Lui l'aime toujours.

Le délai est dépassé pour les médicaments.

Elle sent notre réticence à aller vite .

L'intervention ne sera programmée que la semaine encore d'après.

Elle doit réfléchir, être sûre de sa décision.

Nous ne pouvons pas nous précipiter.

J'avoue que jusqu'au dernier moment, j'espère ne pas la voir le jour "J".

Mais elle est bien là et je l'accompagne.

L'intervention terminée, une fois réveillée, elle se met à pleurer...

Enfin...

Quelques sanglots...

La gorge nouée, elle me dira ne rien regretter.

Maintenant, elle est rassurée, elle sait que la machine peut fonctionner.

Elle pourra tout recommencer.

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6 février 2011

Allaiter...

452            Ma collègue me parle de cette maman le matin avant sa venue. Elle me demande conseil parce que cette jeune femme a arrêté d'allaiter son bébé âgé d'à peine deux semaines. . Elle pense qu'il faudrait peut-être lui donner les médicaments "coupe-lait", ceux qu'on distribue aux mamans qui ne veulent pas allaiter, dès le départ, en maternité. Je suis irritée par cette idée, sans trop savoir pourquoi. Je sais que ce médicament n'est pas si anodin, et qu'une fois la lactation démarrée, il ne sert plus à grand'chose. Je lui fais par de mon raisonnement, puis je suis emportée dans le tourbillon des consultations.

   Je rentre dans le bureau de consultation alors que ma consoeur a fini de s'occuper d'elle. J'avais besoin de matériel, et cent fois pour une, j'aurai pu prendre ce dont j'avais besoin et m'éclipser. Mais ma collègue m'interpelle, et me raconte que finalement, les seins ne sont ni rouges, ni douloureux, qu'on pourra donc se passer de médicaments. Je regarde cette jeune femme et son compagnon qui tient dans ses bras un joli petit garçon, habillé en vrai petit mec. Je tourne ma langue 7 fois dans ma bouche.... Comment ne pas la faire culpabiliser ?

" Tant mieux si vos seins sont biens, mais.... pouvez-vous m'expliquer ce qui vous a fait arrêter l'allaitement ?"

     Et là, cette jeune femme fond en larmes. Entre deux sanglots, elle m'explique qu' allaiter est trop dur, qu'elle ne sait pas ce que son bébé boit, qu'elle n'a pas assez confiance en elle, mais elle voudrait continuer pourtant, elle voudrait lui donner son lait.  Ma collègue me regarde, et choisit de me laisser seule avec ce couple et leur bébé.

   J'ai passé du temps avec eux pour leur dire que c'était normal d'avoir peur. Que d'allaiter était certes difficile, mais devenir parent tout autant. Je l'ai encouragé dans son envie de donner son lait à son bébé, quitte à avoir recours au tire-lait pour donner le lait au biberon. Le tout à double tranchant : la quantité tirée n'est pas représentaive de ce que le sein est réellement capable de produire,  le tire-lait ne peut pas aussi bien stimuler la lactation qu'une bouche de bébé et le bébé risque de ne plus savoir téter le sein s'il prend trop de biberons.Risques expliqués. Pourquoi ne pas chercher une solution intermédiaire plutôt que d'enfermer les gens dans une situation qui ne leur convient pas, voire même qui les terrorise ?

Chaque être humain est unique. Adaptons-nous.

Je n'ai pas eu de nouvelles de cette maman. Je n'en aurai peut-être jamais.

Quoiqu'il en soit, j'ai pu toucher la corde sensible qui lui a permis de vider son sac .

Encore un hasard, une intuition...             

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28 octobre 2010

Par hasard...

          Un jeudi comme tant d'autres...

         Un petit passage au boulot pour déposer quelques papiers, et voir une collègue-amie avec laquelle j'aime tant discuter. Pas de temps pour papoter, tant pis je monte au premier voir mes autres consoeurs et les saluer.

          C'est le matin des IVG.

          Je le sais bien, puisque d'habitude c'est moi qui m'en occupe.

         Je ne regarde pas les dossiers, ces dames-là je ne m'en suis pas occupé. Pourtant c'est ma collègue qui va m'en parler. Dans le bureau où on les accompagne dans leur choix , leurs doutes et leurs pleurs souvent, elle a vu le faire-part de naissance de ma dernière-née. Elle l'a reconnu. Elle lui a parlé de moi. Je n'étais pas là, bien sûr. Mais le hasard fait que je suis passée ce jour-là, ce jour de la deuxième prise des médicaments. Ma collègue lui a dit que j'étais là. Et elle a demandé à me voir. J'aurai très bien pu ne rien savoir de sa venue ici, ou peut-être en rangeant des dossiers.

Elle me confie son désarroi d'être là, d'avoir avalé ces comprimés, de ne pas savoir quand "ça" allait s'évacuer. Sans rien lui demander, elle me raconte son histoire, pourquoi elle est là, que ce bébé aurait pu être le bienvenu, si son homme et elle étaient toujours ensembles... Parce que c'est bien là que le bas blesse. Ils se séparent, et comme dans beaucoup d'autres histoires, c'est juste avant de décider de se séparer que ce bébé a choisi de s'installer. Mais il est inconcevable pour elle et lui de le garder.D'où sa présence ici, ses yeux se remplissent de larmes, je la laisse pleurer. Je lui apporte mon soutien, elle sait qu'en cas de besoin, elle peut m'appeler .

           A ceux et celles qui se permettent de juger les femmes qui ont recours à l'IVG, je leur demande seulement de les respecter. Personne ne sait si un jour ou l'autre il ne sera pas confronté au même choix, difficile et douloureux.

Parce qu'en 2 ans de travail au centre d'orthogénie, des femmes qui semblent insensibles à ce qu'elles font, je n'en ai pas vu beaucoup.

          Parce que j'en ai vu plus qui me disent : "avant, j'étais contre", mais qui se retrouvent dans le même bureau, à prendre les comprimés."

          Parce qu'on ne sait jamais ce qui peut tomber sur le coin du nez.

           Un accident de contraception , c'est si vite arrivé.

           Et quelle que soit l'opinion d'avant.... Les femmes sont toujours meurtries en partant.

      

15 septembre 2010

X


        Elle avait 18, 20 au plus 22 ans. Ce matin là, elle est arrivée en début de travail. Sur son dossier, en rouge en gros : Accouchement sous X. Je ne connaîtrai donc jamais son vrai nom, ni son prénom.Je lui propose de l'appeler par ce prénom d'emprunt. Je lui explique qu'elle va accoucher. Je baisse le son du monitoring au maximum, pour ne pas l'importuner. Ses yeux sont baissés, elle me regarde le moins possible, son regard me fuit. Je me sens obligée de lui rappeler que je suis là pour l'accompagner dans sa décision, que je ne suis pas là pour la juger, mais pour l'aider. Ses yeux se lèvent enfin et elle s'autorise à me regarder. Elle souhaite une péridurale, et elle est rapidement soulagée. Le travail se déroule normalement. Elle s'exprime peu, je n'entendrai pas beaucoup le son de sa voix, ce jour-là.Elle n'a encore pas vu le monsieur de l'aide à l'enfance, qui doit lui rappeler ses droits, alors je l'appelle, lui dit qu'il doit passer, avant que l'enfant ne soit né. En attendant, j'en profite pour discuter avec elle de ses volontés pour ce bébé: Voudra-t-elle le nommer, le voir, le toucher, lui laisser une lettre ? Rien de tout cela. Elle ne veut pas le voir, ni lui donner de prénom . Elle est sûre d'elle, je vois bien qu'elle y a réfléchi.

              Le temps passe . Le travail avance à son rythme. Elle n'a pas mal, elle se repose. Le monsieur arrive, discret, respecteux. Je le fais entrer auprès d'elle et ferme la porte. 45 minutes plus tard , il ressort. Il m'assure que sa décision est bien prise. Que cette jeune femme a bien réflechi. Nous discutons ensemble de la loi, de ce que je devrai faire après la naissance, tous ces tracas administratifs... Soudain, j'entends un cri , la sonnette résonne dans la foulée. Je me précipite, et je découvre une jeune femme apeurée qui crie que ça va sortir, qu'elle a mal, qu'elle n'en peut plus. Le temps d'enfiler un doigtier et je découvre que la petite tête est là sur le périnée, prête à sortir. La jeune femme est complètement paniquée, elle ressent son bébé sur le point de sortir et elle crie. J'essaie de la rassurer : " c'est bientôt fini, allez, il faut pousser". Surtout ne pas utiliser le vocabulaire normalement utilisé, faire attention à cette arrivée, ne pas le poser sur le ventre.Il faut absolument y penser. La jeune femme pousse, son bébé naît rapidement et me voilà prise au dépourvu... Je n'avais rien prévu pour poser le bébé, me voilà bien en difficulté pour couper le cordon, j'ai besoin de mes deux mains. Je veux aussi me dépêcher, pour ne pas qu'elle l'entende crier. Alors je "coince" le bébé entre la table et ma hanche, et je réussis à couper ce seul lien qui les unissait à jamais. Je le saisis dans mes bras, le cache dans un draps et sort précipitamment pour m'occuper de lui dans la pièce à côté. Ce bébé est magnifique. Il crie à pleins poumons, est en excellente santé. Je le mets en couveuse, le temps de finir de m'occuper de la maman. Je la retrouve telle que je l'ai laissée avant le passage du monsieur : le visage impassible, la panique a disparu . Elle ne me posera ausune question sur son bébé. Ne veut rien voir, rien entendre, l'intensité de la naissance ne l'aura pas fait changé d'avis. Je finis de m'occuper d'elle, la remet au propre et retourne auprès du bébé. Je m'installe avec lui dans la pièce d'à côté. J'ai du temps aujourd'hui, c'était la seule à accoucher. J'ai envie de prendre soin de ce bébé. Alors c'est moi qui vais le baigner, puis l'habiller avec des habits de prêt, trouvés en pédiatrie. Ce bébé est calme et éveillé. Je lui raconte son histoire pendant ses soins, lui explique que sa maman l'aime et que c'est pour cela qu'elle a choisi de le confier à une autre maman. Ce regard de nouveau-né si intense... La profondeur de ces yeux qui me fixent, comme s'il pouvait comprendre ... Une fois le biberon avalé, ce bébé s'endort, calmement. Il rejoint son berceau, et je le confie à mes collègues dans le service pour qu'elles puissent prendre le relai. Ce bébé restera en maternité, puis ira en pédiatrie en attendant sa famille d'accueil. Je peux ramener la jeune femme dans sa chambre, qui croisera quelques mamans dans le couloir avec leurs bébés. Je ne peux pas l'éviter. Je la félicite pour son courage, et je vois que ses yeux s'embuent. Je la laisse à son chagrin, consciente que je ne pourrai rien lui apporter de plus. C'est son histoire.

    Reste à faire tous les papiers.

    Parce que quand même, ce bébé, il faut bien le nommer, le faire exister au travers de trois prénoms que nous choisirons en équipe. Un doigt posé au hasard sur le calendrier, deux changements car deux prénoms trop laids, et ce bébé existe maintenant avec ses 3 prénoms. Mes collègues lui confectionneront un petit carnet avec des photos de lui bébé. Nous arriverons même à lui dénicher un doudou. Il sera choyé, cajolé plus que tout autre nouveau-né. Je sais que sa mère n'aura pas renoncé. Elle partira de la maternité sans un regard pour lui.

      Un regard, non. Mais des larmes, si.

11 juillet 2009

la fin

ça y est.

C'est annoncé.

on redoutait tellement ce moment là, et il est quand même arrivé.

Il est loin l'espoir qui nous animait, en décembre quand il a fallu manifester. Il y avait une belle banderole, porteuse de promesses, portée par les élus, non moins beaux parleurs qui nous ont fait espérer encore et encore. cela ne pouvait pas, cela n'arriverait pas, la justice serait là. Elle, elle l'a été, a tenu ses promesses... D'autres moins. Aucun soutien, comme le village gaulois, jalousé par son harmonie et sa bonne ambiance. Mais aujourd'hui les palissades du village gaulois se sont effondrées. Et ses habitants aussi. Car c'est sûr, bientôt ce lieu de naissance n'existera plus.




Je pense aujourd'hui à tout ceux et toutes celles qui y ont vu le jour, dont mon premier né, bien sûr. Je pense à mon amertume chaque jour grandissant jusqu'au jour fatidique où il faudra éteindre les scialytiques, pour de bon, à jamais. Plus aucun cri de nouveau-né ne viendra résonner dans ses murs.

Vide.

Vide de vie, vide d'espoir, un peu comme moi aujourd'hui.

Déçue, blessée, la peur au ventre d'y retourner.

Ecoeurée par tant d'indifférence .

Je pense à celles et ceux aussi qui venaient à nous par choix, parce qu'ils voulaient autre chose pour la naissance de leur bébé. L'étau se resserre, et bientôt, il faudra faire de plus en plus de kilomètres pour accoucher, dans des centres de plus en plus grands, deshumanisés.

C'est triste,très triste la mort d'une maternité.

Au moins aurais-je eu la chance d'y travailler, d'y rire.

Travailler avec des collègues formidables, des médecins respectueux des compétences de chacun.

Travailler en riant, souvent, au minimum une fois par jour .

2 ans de bonheur, au moins.

C'est mieux que rien .

Mais j'aurai tellement aimé aller plus loin...

3 avril 2009

trop tôt

                                      Quand la vie va trop vite, que le temps nous échappe...

        Elle arrive pour des contractions. Elle avait appelé, un peu avant, et ma consoeur lui avait dit de venir. C'est un quatrième bébé, un quatrième garçon : "on ne se faisait pas trop d'illusion", me dira cette maman. Tout s'est toujours bien passé, de la grossesse à la naissance, chacun des enfants est né à son moment, au bon moment. Là déjà c'est différent. Bébé ne doit pointer le bout de son nez que dans 7 semaines. Mais cette maman, d'un calme et d'une maîtrise inouïe, doute. Le toucher vaginal me confirmera ses craintes. Le travail a commencé, et déjà bien avancé. le docteur prévenu, on tente d'arrêter le processus. Une perfusion censée stopper les contractions est installée. Il faut attendre. Voir si ça va marcher. Les questions fusent : pourquoi, comment, et si...??? Non il n'y a pas de culpabilité à avoir. Non, un examen plus tôt n'aurait pas changé les choses. Oui, ce bébé sera trop petit pour rester ici. Oui ce sera un bébé prématuré, avec les difficultées liées à sa sortie précoce du ventre maternel. L'évidence est là. On croise les doigts... Pourvu qu'on puisse tenir quelques jours. Allez, seulement 1 semaine, ou 2 et déjà bébé restera là.

             Les contractions sont toujours là. La maman est concentrée, zen. Elle voit bien que rien n'a changé. Le temps est supendu, on oscille entre espoir et inquiétude.

D'un seul coup tout s'accélère. la poche des eaux se rompt. Le liquide est étrangement sanglant. De mon expérience, je n'ai jamais vu un liquide de cette couleur. Mon pouls s'acélère, je suis seule, mes collègues sont parties manger. Pas le temps de sonner. Il faut appeler le docteur, changer de salle, examiner... Pendant ce temps, le coeur de bébé ralentit. Les filles accourent, on se dépêche, vite vite, il faut y aller, il faut sortir ce bébé. Ce n'est pas un premier, le col est entièrement dilaté, on s'installe pour la poussée, le gynéco et le pédiatre ne sont même pas encore arrivés. Tant pis, il faut faire sans eux. Je croise le regard perdu de cette maman et de ce papa. Ils auraient tant aimé que ce bébé reste encore un peu. Pas le temps de rassurer. L'urgence est là, il faut pousser. La petite tête progresse bien, la maman met tout son courage, fait fi de sa peur et pousse admirablement bien. La tête est sur le point de sortir, je me fais la reflexion qu'il n'est pas si petit, ce bébé. Le docteur est arrivé, mais n'intervient pas, mes décisions sont les bonnes. Je pose enfin ce petit sur le ventre de sa maman. Il est couvert de ce liquide sanglant. Je vois le papa se reculer, épouvanté, les larmes aux yeux. Tout en coupant le cordon, j'essaie de rassurer. Bébé pouse un petit cri, bouge ses membres. Me voilà un peu rassurée. Mais vite déjà il faut l'emmener.Pas le temps de le regarder, pas le temps de faire connaissance, ma collègue l'attend et le pédiatre arrive. Je retourne vers la maman, inquiètée par ses saignements.Il ne manquerait plus qu'une hémorragie, vraiment. Mais non. Le flot s'est calmé depuis la sortie du bébé. Je peux prendre le temps d'attendre le placenta. A vrai dire on l'attend de pied ferme celui-là, en espérant une réponse à ce liquide plein de sang. Il arrive enfin, dans les temps, normal, sans aucune anomalie. Je peux enfin aller voir le bébé, pris en charge par le pédiatre. Petit bout d'homme a bien démarré, mais juste après a un peu oublié de respirer.Malgré tout, il réagit bien, et n'a pas besoin d'un tube dans sa gorge. Sa respiration est hésitante, chaotique, on le stimule, le pique, pas une minute de répit pour ce tout-petit. Ce n'est pas un grand prématuré, mais il a besoin d'être aidé, alors on lui donne un peu d'oxygène. Il récupère vite ce qui est très bon signe, mais il ne peut rester là. C'est la loi. Avant 34 semaines d'aménorrhée, un tout petit doit être muté, dans une autre structure, mieux équipée. Et puis, il a besoin d'oxygène, c'est évident, et puis on ne sait jamais ce qui peut arriver. Le SMUR pédiatrique a été appelé et viendra le chercher. En attendant, je demande au papa d'aller chercher les plus grands enfants, pour qu'ils voient leur petit frère tout juste né. Quand pourront-ils le revoir après ? Je n'en sais rien, alors rapidement, il va les chercher.

                 Sitôt arrivés, on les laisse entrer. Ils sont ébahis devant ce tout petit. Intimidés par les blouses blanches qui virevoltent autour de lui. Le papa filme leurs premiers regards, ils sont si attendrissants. J'aimerai tant qu'ils puissent le prendre dans leurs bras, l'arracher à ses fils et que ce soit sur le ventre de la maman qu'il le voie pour la première fois. Ce n'est pas possible, je le sais bien, alors on les laisse entre hommes, tous les 4, un semblant d'intimité, un moment volé, on recule à pas feutrés dans le couloir.

                 La maman va bien, un peu secouée, un peu fatiguée. Cela ne fait encore pas deux heures qu'elle a accouché. Mais je vois bien qu'elle meure d'envie d'être auprès de ses garçons. Alors faisant fi des protocoles, je l'aide à se lever, et en fauteuil roulant je vais l'accompagner vers son bébé, et sa tribu au complet. Je les laisse savourer, créer ce lien si ténu avant le grand départ, dans une autre ville, plus loin, dans un lieu moins accessible pour eux 6. Comme par enchantement, la respiration du petit se fait plus calmement, il a même ouvert un oeil, en entendant ses grands frères chuchoter. Le pédiatre en serait presque stupéfait. Pas moi. Je sais. Je sais que ce bébé a senti ses frères, son papa et sa maman auprès de lui. Je sais que tout ce stress qu'on lui a infligé alors depuis sa naissance s'est enfin un peu estompé. Et que du coup, littéralement, il peut respirer. Mais c'est de courte durée, bien sûr. Il est encore trop faible, et il lui faut encore de l'oxygène, un petit peu.

                 Le SMUR pédiatrique arrive alors. Les plus grands s'eclipsent. Et la maman reste un temps; à moitié rassurée. Puis je la raccompagne en salle d'accouchement. Il faut qu'ils préparent tout- petit à son transfert.

                 Je sors moi aussi, et le pédiatre s'en va. Je les laisse travailler tranquillement, je sais l'infirmière très douce et expérimentée avec ces petits nés trop tôt.

                 Ils restent longtemps. Il faut du temps et de la patience pour manipuler tout-petit.

                 Puis, le docteur pédiatre spécialiste va voir la maman. Il lui explique à quoi elle doit s'attendre, la rassurer aussi, car tout petit n'est pas si petit. Puis à ma grande surprise , il l'a fait revenir dans la salle des bébés. Pour une longue et magnifique séance de peau à peau. Pas deux secondes volées, non, un long moment où les deux se retrouvent et peuvent enfin se toucher, se sentir, se contempler. Malgré tous les fils, malgré la perfusion, c'est possible. On sent bien que le médecin et la puericultrice ont le temps. Enfin, ils le prennent le temps, ce temps si important , ce temps manqué à la sortie de bébé, ce temps merveilleux, qui m'émeut, me met les larmes aux yeux.


             Je retourne à mes papiers.

             Et c'est enfin le moment du départ. Tout-petit est installé dans la couveuse de transport. Sa maman lui touche une dernière fois la main, le coeur en mille morceaux. Cette maman si zen et courageuse est complètement dévastée par le départ de son bébé. Je suis triste moi aussi, je pense savoir ce qu'elle ressent, on essaie de rendre la séparation moins dure; mais c'est inéluctable. On suit son bébé jusqu'à l'ambulance. On attend que les portes se referment et qu'ils démarrent, enfin, emportant tout-petit loin de sa maman, des siens, pour quelque temps.

          Je raccompagne la maman dans sa chambre, l'aide à s'installer dans son lit. Elle se met à pleurer, librement. C'est trop dur de voir son bébé partir ainsi, loin. C'est trop dur de ne pas pouvoir aussi l'allaiter, comme les grands frères, là tout de suite. C'est vraiment trop dur. C'est un coeur de maman brisé, et je suis de nouveau moi aussi aux bords des larmes. Je la rassure et déjà lui propose de tirer son lait. Pour stimuler, pour collecter le précieux brevage dont son bébé a encore plus besoin que les autres bébés. Elle acepte bien sûr. Elle sait que c'est la seule chose qui la rapproche tant de son bébé. Je lui promets le tire-lait plus tard, dans la soirée, pour l'instant elle doit se reposer. Reprendre des forces pour aller le retrouver, dès que ce sera possible.


              Tout petit sera bien arrivé, et aura bien récupéré. Aujourd'hui, date de l'article, j'ai su par son papa que le grand jour est arrivé. Il va pouvoir rentrer chez lui, retrouver son doux et chaud foyer, bien entouré, 3 semaines après avoir quitté le ventre de sa maman. Après reflexion, la sortie du ventre de maman était question de survie. La placenta, envoyé en analyse a livré son secret : Si le travail ne s'était pas déclenché, tout-petit ne serait certainement pas là, le placenta s'est abîmé, et aurait fini par se décoller.

La nature s'en est une fois de plus mêlé.


La nature a tout orchestré, pour sauver la vie de ce petit bébé.

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